Comment ça marche... l'altimétrie ?

L’observation des océans a certainement débuté avec le premier navire à prendre le large. D’abord par soucis d’efficacité en matière de commerce. Puis, l’exploration amenant autant de questions que de réponses, l’étude des océans est devenue une discipline scientifique.
A la base de l'océanographie moderne, les données obtenues in situ pendant des siècles ont notamment permis de se rendre compte de la complexité des phénomènes océaniques, et servi à inventer de nouveaux instruments de mesures.
Les outils spatiaux en font partie. De nombreux instruments ont été embarqués à bord des satellites, mais ce sont surtout les missions altimétriques qui ont révolutionné la vision des océans.
Basé sur une technique de mesure d'altitude, le satellite altimétrique récolte aujourd'hui plus de données sur la circulation océanique en 10 jours qu'il n'en avait été emmagasiné pendant plusieurs siècles par bateaux.
Plus de données et plus de précision : aussi paradoxal que cela puisse sembler, un altimètre détecte un creux de quelques centimètres à l'échelle d'un océan...
Le saviez-vous ?
La Terre est bien mal nommée… Quelques chiffres sur les océans :- Surface totale : 360 millions de km2, soit 71 % de la planète (700 fois la surface de la France)
- Masse totale : 1,4 milliards de milliards de tonnes, soit 300 fois la masse de l'atmosphère
- Profondeur moyenne : 3 800 m (11 000 m au maximum, alors que l'Everest n'atteint pas 9 000 m)
- Températures : de - 4°C (régions polaires) à +30°C (régions tropicales)
- Age : 4,5 milliards d'années
- Vitesse d’écoulement des courants : 1 mm/s à 1 m/s
Une histoire de courants
Dès l’Antiquité, les marins étudient les courants afin d’optimiser leurs routes.
Plus tard, en 1777, Benjamin Franklin trace les limites du Gulf Stream à partir de mesures de températures, et recommande de le suivre pour réduire la durée du voyage entre New-York et Londres.

En 1849, Matthew Maury publie les premières cartes mondiales des vents et des courants à partir de données recueillies par bateaux. L'exploration des océans à vocation purement scientifique commence réellement en 1872, lorsque l'expédition Challenger arpente les océans pendant 42 mois et collecte des données de la surface jusqu'au fond.
A partir des années 1970, les outils spatiaux s'imposent et révolutionnent les moyens d'étude de la planète. Proposée la première fois en 1965 lors d'un colloque à Athènes, la technique d'altimétrie spatiale est mise en œuvre sur les satellites américains GEOS 3 (1975), SEASAT (1978) et GEOSAT (1985). La première grande mission altimétrique est le satellite franco-américain TOPEX/POSEIDON (1992), suivi de JASON-1 (2001) et ENVISAT (2002). En janvier 2016, JASON-3 a pris la relève, toujours dans le cadre de cette coopération entre agences spatiales et météorologiques.
A l'avenir, la continuité de l’altimétrie de haute précision par satellite sera assurée par le programme Jason-CS/Sentinel 6 en cours de développement par l’ensemble des partenaires, tandis que l’innovation continue avec la mission SWOT, satellite d’altimétrie de nouvelle génération dans le cadre de la coopération historique franco-américaine.

Les progrès sont sans commune mesure : désormais, les scientifiques étudient la planète dans un contexte global. La Terre est considérée comme un système unique combinant différents éléments en constante interaction : les terres émergées, les océans, l’atmosphère et la biosphère.
Autre révolution : le suivi en temps réel d’un même phénomène, avec la possibilité d’observer un même point avec une fréquence régulière de quelques jours.
Le saviez-vous ?
Les courants tempèrent l’Europe
Le Gulf Stream est un courant chaud qui circule des Caraïbes à l’Europe. Sa température oscille entre 18°C et 28°C, et son débit peut atteindre 100 fois celui de tous les fleuves du monde réunis. Il adoucit l’air en Europe : sans lui, les hivers de l’ouest européen seraient aussi froids qu’au Québec !
L'altimétrie en théorie
Installé sur un satellite à défilement en orbite basse, de façon à pouvoir repasser régulièrement au-dessus d’un même point, l’altimètre est un appareil radar : il émet un signal à très haute fréquence (typiquement 2 000 impulsions par seconde) à la verticale du satellite, qui voyage jusqu’à rencontrer un obstacle. L’antenne de l’altimètre reçoit en retour « l’écho radar » réfléchi.

Le temps écoulé entre l’émission du signal et la réception de l’écho permet, par calcul, d’obtenir la distance entre l’obstacle (dans notre cas l’océan) et le satellite : elle est obtenue par simple multiplication du temps par la vitesse de la lumière, à laquelle se propagent les ondes électromagnétiques (voir encadré).
Quelques formules Formule générale de la vitesse :
v = d/t
où d est la distance (en km) et t le temps de parcours (en s).
Donc :
d = v.t
Dans notre cas, la vitesse v est égale à la vitesse de la lumière
c = 300 000 km/s
L’observation des océans se heurte à un obstacle majeur : les ondes radio ne pénètrent pas en profondeur, les mesures se limitent donc à la surface. La hauteur des mers par rapport à la Terre doit ensuite être estimée d’après une surface de référence terrestre choisie arbitrairement.
En pratique, cette mesure théorique doit, pour atteindre le niveau de précision souhaité, subir des corrections qui tiennent compte des perturbations du satellite sur son orbite et de celles des ondes lors du passage dans l’atmosphère.
Principales missions altimétriques actuelles
Satellites | Origine | Altitude | Répétitivité exacte | Ecart des traces au sol entre 2 passages |
ERS-1 (1991), ERS-2 (1995), ENVISAT (2002) | Europe | 800 km | 35 jours | 80 km |
TOPEX/POSEIDON (1992), JASON-1 (2001) | France/Etats-Unis | 1 330 km | 10 jours | 315 km |
GFO (1998) | Etats-Unis | 880 km | 17 jours |
Le choix de l’orbite d’un satellite altimétrique est un compromis : en effet, plus la période est courte, et donc la répétitivité importante, moins la zone couverte est large.
De l'altitude à la hauteur
Puisque l’altimètre ne fournit que la distance entre le satellite et la surface de la mer – qu’on appellera R, il est nécessaire de calculer la hauteur des océans par rapport au référentiel terrestre.
Pour cela, il faut d'abord définir une surface de référence, choisie arbitrairement. Les informations sur le fond des océans n'étant pas connues partout avec précision, on se réfère à une surface régulière et immatérielle, approchant la forme élémentaire de la Terre, c'est-à-dire une sphère aplatie aux 2 pôles : l'ellipsoïde de référence. Les données peuvent ainsi être étalonnées de façon précise et homogène.
L'altitude du satellite par rapport à l'ellipsoïde de référence – qu'on appellera S - est calculée avec une précision de 3 cm, à partir des paramètres orbitaux du satellite et des instruments de localisation.
Le niveau des océans ou hauteur des mers correspond ainsi à la différence entre l'altitude du satellite par rapport à l'ellipsoïde de référence et celle de la surface de la mer, autrement dit S-R.

Cette hauteur résulte du niveau supposé de la mer en l’absence de toute perturbation, le géoïde, et de la circulation océanique plus ou moins variable, appelée topographie dynamique, conséquence de la rotation terrestre, des vents et des marées.

Le saviez-vous ?
Une mer d’huile ?
La surface des océans est très agitée. Le responsable ? Le Soleil ! L’axe de rotation du globe étant incliné, notre astre ne dispense pas la même quantité de chaleur partout. Pour homogénéiser les écarts, une circulation naturelle s’établit entre atmosphère et océans par le biais des courants marins et des vents.
Les corrections, gages de précision
Les ondes radio émises et reçues traversent un milieu qui n’est pas vide : lors du passage dans l’atmosphère, certains éléments peuvent ralentir la propagation et fausser les mesures.
C’est le cas des électrons, très abondants vers 400 km d’altitude, de l’air sec de l’atmosphère et de la vapeur d’eau, qui peuvent provoquer des erreurs allant de quelques centimètres à plus de 2 m.
Compte tenu de l'extrême précision recherchée, les éléments perturbateurs doivent être identifiés afin de déduire les corrections à apporter. Des instruments sont spécifiquement étudiés et embarqués pour mesurer ces paramètres physiques. Au final, la distance entre le satellite et l'océan est estimée avec une précision de 2 cm.
Par ailleurs, l'objectif est d'obtenir des mesures précises du niveau des mers par rapport au référentiel terrestre, donc indépendantes du satellite. Il est ainsi nécessaire de connaître précisément sa position sur son orbite.
C'est le rôle des appareils d'orbitographie embarqués, qui s'appuient par exemple sur un réseau de balises au sol et des modèles de trajectoire. Couplés avec des instruments de localisation de type GPS, ils permettent de déduire très précisément la position du satellite par rapport à la Terre : altitude, longitude, latitude et orientation.

Une mine d'informations
L’altimétrie spatiale permet, à partir de mesures de surface, d’obtenir des informations de plusieurs natures :
Des informations sur les propriétés des océans :
Le satellite fournit des renseignements en tout point de la surface océanique, mais ces mesures renferment une mine d’informations sur toute la colonne d’eau, entre la surface et le fond : vitesse et direction des courants, hauteur des vagues, force du vent.
Ces données sont utilisées en océanographie pour cartographier les courants, étudier les saisons océaniques, mieux connaître les marées, surveiller le niveau moyen des mers et détecter certaines anomalies comme .

L'altimétrie fournit également des informations sur le fond :
La topographie de la surface des océans reproduit, en l’atténuant, le relief des fonds sous-marins. Une bosse en surface peut provenir d’un volcan ou d’une montagne. L’excès de matière engendre ainsi un surplus de gravité, qui retient une couche d’eau plus importante à cet endroit.
Indirectement, l’altimétrie permet donc d’obtenir une image du géoïde et s’applique également à la géophysique et à la géodésie, étudiant les propriétés physiques de la Terre solide.